Présentation
Des portraits d’animaux plus vrais que nature. Ainsi peut-on qualifier les peintures et dessins de Marion Tubiana. Des images troublantes de réalisme qui pourraient passer pour des photographies, tant elle parvient à reproduire à la perfection la douceur d’une fourrure, la transparence d’un œil, la rugosité humide d’une truffe et à faire oublier le passage de son pinceau comme de son pastel sur le support. C’est d’ailleurs d’après des photographies que cette artiste, également photographe animalière travaille. Des clichés pris par elle ou par d’autres photographes qu’elle transfigure sur la toile ou sur le papier. Elle en modifie alors l’ambiance et les lumières, procédant avec cette minutie qui l’a toujours fait aimer l’image photographique. C’est pourtant par la peinture et le pastel qu’elle a choisi d’exprimer la nature profonde de ces bêtes dont elle affectionne tant la compagnie et dont elle dit qu’ils sont les seuls êtres capables de lui apporter « cet apaisement et ce bien être si particulier qu’eux seuls peuvent transmettre ».
Au cours de longues heures, voire de journées à scruter sur l’image les moindres détails de l’oiseau ou du mammifère qu’elle a choisi de portraiturer, elle tire ainsi de chaque animal une émotion qui variera selon qu’elle utilise le pastel ou la peinture à l’huile. La texture poudrée et veloutée du premier lui permet ainsi de donner à ses dessins une tendresse et une fugacité toutes particulières. D’autant qu’elle les laisse inachevés, faisant ainsi apparaître la texture et la couleur du support. Nous avons ainsi l’impression d’assister à l’apparition éphémère d’une vision, la surface plane de la feuille semblant s’ouvrir sur un autre monde, celui d’une animalité transfigurée par l’artiste. Une sensation qui rappelle l’évanescence de ce medium qui, avant d’être fixé, peut être effacé d’un revers de main et se disperser au moindre coup de vent. Quant à la peinture, Marion Tubiana la voit comme « plus engagée en terme d’intentions ». Plus dure que ces bâtons de poussière colorés avec lesquels elle dessine, elle lui permet alors de donner une ambiance plus affermie et définitive. Si le pastel donne à ses figures animales un mouvement et une certaine fragilité, la peinture à l’huile les transcende quant à elle et les rend spectaculaires. D’intimes et graciles, elles deviennent ainsi grandioses et imposantes de puissance et de grâce.
Avec ces deux techniques qui se complètent pour figurer cette bestialité vulnérable et forte à la fois, l’artiste redonne ainsi de l’épaisseur et de la vie à ces photographies qui, si elles lui fournissent tout le matériel visuel qu’elle recherche, n’en sont pas moins pour l’artiste « plates » et mécaniques. Une artificialité qui reprend chair et épaisseur en devenant dessin ou tableau.
C’est ainsi qu’elle entretient avec son modèle photographique une relation intime au cours de laquelle elle scrute la manière dont la lumière tombe et se reflète sur ces poils et ces plumes dont on parvient alors à ressentir jusqu’à la texture, de la souplesse d’un pelage à la fermeté d’un plumage. Une exploration minutieuse de l’image qui l’amène également à prêter une attention toute particulière au regard. Ces yeux que Léonard de Vinci considérait comme les fenêtres de l’âme sont ainsi sublimés afin de rendre à ces animaux cette vie intérieure qu’on leur a si longtemps refusée. Elle nous rappelle ainsi que c’est par le terme anima que les latins désignaient le souffle vital tout comme l’âme, mot dont on retrouve la racine dans animalis (animal), révélant une animalité qui pouvait inclure l’homme chez les Romains de l’Antiquité.
C’est cette profondeur de l’animal que l’artiste a à cœur de nous révéler, elle qui depuis l’enfance monte à cheval et a su ainsi mesurer le lien sensible et presque spirituel qui nous relie à eux.
Bien plus qu’une artiste animalière, Marion Tubiana est donc une pastelliste et une peintre de l’anima, ce souffle qui nous anime autant que ceux qu’on a pris l’habitude de désigner comme des bêtes, et dont ses portraits révèlent cette âme de la nature à laquelle elle nous invite à nous reconnecter.
Bertrand Naivin